CHANT DU DESHONNEUR
Texte de Benoist Rey, soldat appelé, infirmier dans un commando de chasse
dans la région du Nord Constantinois (octobre 1961)
Je n'oublierai jamais l'écartèlement algérien, aux quatre vents de l'agonie.
Ni les enfants, dans les ruines, cherchant qui pleurer.
Ni les hommes, fusillés à l'aube, égorgés la nuit, entre les murs de la honte.
Ni les femmes violentées, ni le hideux sourire du suborneur, mon camarade.
Je n'oublierai jamais les incendies dans la montagne,
les agneaux éventrés, au hasard de la cruauté,
ni les pistes de haine, les cortèges de douleur,
ni le regard faux des chefs, ordonnateurs de massacres,
ni leur rire devant la torture, la bastonnade, la mutilation.
Dépassant l'arbitraire et l'absurde,
je n'oublierai jamais ce que fut notre guerre, la guerre de nos vingt ans.
Faire la guerre, c'est être moins qu'un homme et bien plus qu'un salaud.
LE BAGNE…
Éloignement, travail forcé, perpétuité, boulets à traîner pendant des années.
Mort à petit feu, c'est le bagne aboli voici longtemps.
On aurait pu croire la société plus humaine, moins destructrice…
Mais que dire alors de la prison ?
Des peines de sûreté, des longues années d'isolement, des cellules mouroirs, des tabassages, des suicides, des boulots payés une misère, des refus de soin…
N'est-ce pas le bagne ?
Que penser d'une vie entière au travail?
De l'obligation de résultats qui font de l'individu un forçat de la performance, des camisoles chimiques dont on le gave quand il n'en peut plus.
Des vies résumées à un code-barre, de l'isolement généralisé, de la peur de perdre ce qui a été si durement acquis ?
Oh, bien sûr vous ne vous sentez pas visés. Vous vous croyez à l'abri, en sécurité, respectueux des règles et des lois, soucieux seulement de votre petit pré-carré.
La prison, c'est pour les autres, les sauvageons.
l'HP, c'est pour les autres, ceux qui ne font pas d'effort ...
Êtes-vous si sûrs ? Êtes-vous certains de ne pas être les prochains qu'on pressurera avant de jeter si le besoin s'en fait sentir ?
LA VILLE
Je me balade sur des esplanades de béton,
bordées d'enceintes vitrées, surveillées. Le
bitume est planté d'arbres enferraillés. Des silhouettes
traversent ; elles entrent dans d'immenses bâtiments…
Imposants, ce sont les temples de l'activité humaine, du travail, de la consommation, du logement, du loisir, du programme de vie, hiérarchisé, systématisé.
Hausmann l'a commencé, des urbanistes l'ont achevé.
De grandes rues bordées de platanes, de larges trottoirs pour flâner devant les vitrines, des magasins au rez-de-chaussée. Les propriétaires habitent au-dessus, pas trop haut, juste assez pour dominer… Les bonnes sont au dessus, tout en haut, pour ne pas gêner et servir…
Hiérarchie de l'espace, hiérarchie des places, et le travail sera bien fait.
Circulation des corps, des véhicules, des flics… Plus rien ne les entrave. Plus de perte de temps, plus d'errance, plus de repli sombre, plus de cache. Tout se découpe à la lumière crue de la ville, tout est mesuré, efficace, utile, contrôlé.
Bentham
l'a rêvé, des architectes l'ont fait.
Des puits de
lumière dans les galeries commerciales, dans les usines, dans
les prisons, dans les écoles…
La ville s'est rendue maître de ses habitants,
plus rien ne contrarie l'effet désiré. Désir de
dominer des vies dévouées à produire, désir
de capter des regards envieux de consommer, désir de faire voir
sans être vu.
Je me balade dans des campagnes dévastées par une civilisation avide.
C'est la même histoire, aux frontières de la ville…
COUP DE CAFARD
Sur et avec une idée de Burger
J'en ai marre de broyer du noir
De rester seul dans mon désespoir
Je veux me bourrer la gueule tous les soirs
Il paraît que je devrais travailler
Travailler c'est collaborer
La société me fait dégueuler
La vie c'est pas ce qu'on t'a dit, crois-moi
C'est tout à fait autre chose que ça
Tu baves devant les vitrines
Mais ne touche pas c'est un crime
Il y a un flic derrière chaque building
Télé usine, ton esclavage
Tu sais ravaler ta rage
Ta bagnole, ton sacorphage
La vie c'est pas ce qu'on t'a dit, crois-moi
C'est tout à fait autre chose que ça !
LE CAPITALISME TUE
Inspiré du Livre noir du capitalisme
1834, le capitalisme débute.
Des barricades quartier Merri.
L'armée tire rue Transnonain à travers les soupirails !
Dans les caves où vivent les familles ouvrières, 200 morts.
Ils se sont soulevés, ils ont perdu !
1914, le capitalisme change.
La boucherie commence.
Les armes se vendent, Krupp, schneider prospèrent…
11 500 morts 13 000 blessés par jour, pendant 3 ans ½
Ils se sont entretués… Pour qui ?
1936, le capitalisme vacille.
1937, la répression commence.
Des syndicats jaunes sont crées,
la police tire sur les ouvriers,
des militants sont entaulés.
1940, Vichy interdit la CGT.
Ils ont essayé, rien n'a changé !
1960, le capitalisme massacre depuis six ans en Algérie.
Une guerre pour continuer d'exploiter tout un pays…
Deux ans plus tard, c'est la victoire, on compte les morts : 1 million…
Ils ont gagné. Mais à quel prix ?
2000, le capitalisme règne.
L'exploitation des corps, des gènes, des peurs.
Tout se vend, tout s'achète…
Que fais-tu maintenant pour que ça change ?
PRISON et DEMOCRATIE
D'après une plate-forme de revendications de femmes-détenues
La prison est soi-disant une garantie pour la démocratie.
Pourquoi interdire alors les représentants de prisonniers ?
Le droit à la santé est universel, mais des prisonniers meurent faute de soins.
En prison, tu es censuré tu n'as pas le droit de t'exprimer
En prison, tu es enfermé comme une bête sauvage.
En prison, tu es contrôlé.
La prison, un moyen utilisé pour exploiter.
La prison doit être abolie.
En attendant, nous exigeons le droit à la démocratie, le droit aux syndicats, le droit au SMIC. La fin de la censure, la fin du mitard, des parloirs intimes…
Le droit de se révolter.
En prison, les femmes accouchent menottées,
En prison, on se pend aux radiateurs.
En prison, tu ne sais plus ce qu'est l'Amour.
En prison, l’arbitraire est la règle des matons…
Abolition de la prison !
SILENCIO
L'original est du groupe argentin Terror y Miseria
Qui comblera l'abîme de la folie ? Les médocs ? les injections ? les camisoles chimiques ? Qui en finira avec la solitude des enferméEs ? L'infirmier ? Le juge ? Les médecins ou la mort ? Qui détermine qui est fou, qui est sain ? La société, le système ou le mur d'enceinte ?
Peut-être est-il sain de nier la l'intégrité d'une personne ? De lui prendre vie et dignité…
Peut-être est-il sain de jeter une personne à l'asile
comme on jette une ordure ? Peut-on qualifier de sain de jeter un voile
crade d'indifférence ?
La toile de
l'oubli est tissée de la complicité du silence, un
silence sepulcral, le silence des enferméEs, le silence du vide…
Chhhhuuut !
Silence, silence
qui étouffe les cris. Silence, Silence qui nie les sens.
Silence, Silence qui brûle les fous. Murs et cachetons. Silence,
solitude et enfermement. Silence, docteurs qui assassinent, juges
muets, familles qui oublient. Silence, hors de l'hôpital le bruit
étourdi mais il ne peut briser le silence.
À l'intérieur, il n'y a pas de coupables. L'assassin est toujours le silence.
Silence assassin.
QUESTIONS QUE POSE UN OUVRIER QUI LIT
D'après un poème de Berthold Brecht
Qui a construit Thèbes aux sept portes ?
Dans les livres, on donne les noms des Rois.
Les Rois ont-ils traîné les blocs de pierre ?
Babylone, plusieurs fois détruite, qui tant de fois l’a reconstruite ?
Dans quelles maisons de Lima la dorée logèrent les ouvriers du bâtiment ?
Quand la Muraille de Chine fut terminée, où allèrent, ce soir-là, les maçons ?
Rome la grande est pleine d’arcs de triomphe.
Qui les érigea? De qui les Césars ont-ils triomphé ?
Byzance la tant chantée, n’avait-elle que des palais pour ses habitants et ses habitantes ?
Même en la légendaire Atlantide, hurlant dans cette nuit où la mer l’engloutit, ceux qui se noyaient voulaient leurs esclaves.
Le jeune Alexandre conquit les Indes…
Tout seul ?
César vainquit les Gaulois.
N’avait-il pas à ses côtés au moins un cuisinier ?
Quand sa flotte fut coulée, Philippe d’Espagne pleura.
Personne d’autre ne pleurait ?
Frédéric Il gagna la Guerre de sept ans.
Qui, à part lui, était gagnant ?
À chaque page une victoire.
Qui cuisinait les festins ?
Tous les dix ans un grand homme…
Les frais, qui les payait ?
Autant de récits, autant de questions.?
MOI OU L'ÉTAT ?!
Il y a trente ans, un mois de mai qui rampe, un cocktail-molotov, une grève sauvage, une occupation, une mutinerie… c’est la lutte.
Aujourd’hui ? un crachat, un regard, un cri, un semblant de révolte… c’est l’outrage.
Qui décide de la violence sociale ? Moi ou l’État ? …
C’est une histoire de flics, dehors et dans ma tête.
Que
reste-t-il de furieux mouvements sociaux, d’un
général qui s’enfuit, d’intellectuels en
grève de la faim, d’étudiants qui saccagent ? Des
images en noir et blanc à la télé, des
grèves brisées, des collectifs nucléarisés,
des mouvements digérés.
Une
personne, seule, focalisée sur la lutte de son nombril. Un
militant perdu dans les illusions perdues d’une gauche mille fois
vendue. Un intellectuel qui vend sa soupe à la
télé… et l’apathie généralisée !
AMERICAN HARD-CORE (made in Sony)
Promesse d’un mode de vie. Grands choix et beaux discours : “Organisons-nous pour un monde plus juste !” Sûr que de telles poses rapportent à long terme !
Suffit
de se regarder pour comprendre ce qui est avancé… Plus besoin de
gueuler contre l’ordre établit, plus besoin de se positionner face à
“eux” - puisque ceux-ci maintenant nous alimentent !
Un mode de pensée subversif, une alternative à l’aliénation collective… “Punk HardCore ? C’est tout un art de vivre !” De belles poses, de belles paroles !
Bien ancrées dans un système cynique. Vivement les
retombées d’un tel investissement… Quelles sont les
échéances ?!
“Système pourri ! Boulots pourris ! Buziness pourri ! Majors pourries !”
Nous le crions toujours plus haut, encore plus fort, même si ce sont eux qui maintenant nous alimentent !
Punk hardcore redoutable, Punk hardcore fort rentable !
L'AFRIQUE
Qui se souvient que le monde s’est construit sur un triangle de la honte, de la mort, de l’esclavage ?
Europe, le capitalisme fait ses premiers pas, la globalisation aussi.
Les échanges s’intensifient, l’argent coule à
flot. L’esclavage cimente les fondations des bourgeoisies de
Liverpool, Nantes, Lisbonne.
Afrique, tyrannies, guerres, justices locales font leur lot des
marchandises humaines. Armes, métaux, alcool sont la paye
d’une vie d’esclave.
Nouveau
monde, exploitation des sols, des sous-sols, de l’or, du sucre,
du café. L’esclave, l’indien sont asservis pour le
développement de l’empire. Quelques années plus
tard, les bourgeoisies américaines ont soif de liberté
d’entreprendre et de profit. Dehors l’Espagne, le Portugal,
l’Angleterre ! Mais l’esclavage continue…
Encore
plus tard, les sociétés restent traumatisées par
leurs fondations racistes. L’Afrique crève toujours
à petit feu. L’Occident arrogant s’est
étendu. Son empire a changé de formes. Plus de
colonisation, d’esclavage, mais la globalisation et les
marchés intégrés, les bidonvilles et les usines de
la sueur.
Qui se souvient … hier comme aujourd’hui le premier acte humain de l’esclave, c’est le crime.